samedi 24 mars 2018

Ces enfants aux supers pouvoirs








Il y a tout près de 22 ans, je terminais mon baccalauréat en psycho-éducation.  Je n'étais pas encore maman, mais je savais déjà que je voulais travailler auprès des enfants. Travailler auprès des enfants des autres m'enchantait puisque j'aimais me retrouver auprès d'eux, j'avais cette facilité à entrer en contact avec eux et j'étais littéralement en amour avec leur naïveté, leurs yeux pétillants et leur désir d'apprendre. Je trouvais fascinant de voir à quel point leur différence devenait leur force et ils avaient tellement à m'apprendre sur la vie et mon travail ! 

J'ai eu la chance assez rapidement de plonger dans le monde scolaire. J'y ai fait des rencontres extraordinaires. Des enfants aux supers pouvoirs, prêts à tout pour surmonter leur handicap, persévérants et allumés comme dix. Des enfants ayant des défis bien à eux, que ce soit au niveau du langage, social, académique, physiologique ou comportemental.  

J'utiliserai des noms fictifs pour vous en présenter quelques-uns.

Il y a eu Tristan...qui allait aiguiser son crayon à mine pour ensuite le planter dans la main de son seul ami dans la classe. Un jour, il a agrippé un autre élève au visage et lui a laissé des marques. Il arrivait que l'enseignant fasse sortir toute la classe quand il était en crise.  Il faisait tout tomber sur son passage. Tristan brisait un bâton de popsicle en deux pour s'en faire une arme. Il avait 6 ans. On en a fait du chemin ensemble en 6 mois. À la dernière journée d'école, il m'a sauté au cou, enroulé ses jambes autour de moi en me disant qu'il n'avait pas envie de me laisser. J'ai pleuré comme une Madeleine une fois qu'il fut parti. Malgré les crises, les gros mots, les insultes, les pipis dans les culottes pour se venger... Tristan avait le super pouvoir d'être attachant. Une grande fragilité et sensibilité se cachait derrière sa façade de roc.

Magalie, atteinte de trisomie 21, douce comme un agneau et très influençable. Intégrée dans une classe régulière, elle n'était pas du tout au même niveau que les élèves de sa classe. Je l'ai prise sous mon aile, et bien que ce n'était pas dans mes ''tâches'', j'ai joué le rôle de l'enseignante, cette année-là, prenant en charge le côté académique tout en la protégeant des vautours qui lui auraient fait faire les 400 coups. Jamais je n'oublierai son sourire, son charme...

Ben, autiste de haut niveau, asperger, calé en sciences et tant à nous apprendre.  Il avait toujours réponse à tout, impulsif envers quiconque contredisait ses dires... Cette année-là, il avait le plus beau costume d'Halloween de l'école entière, qu'il avait pensé et conçu de A à Z.  La créativité était son super pouvoir, tant dans ses projets d'art que dans sa façon bien à lui d'expliquer les mystères de la vie.

Comment oublier Jeanne...sans diagnostic précis, on devait réussir à l'apprivoiser afin de pouvoir l'approcher. Très renfermée, il lui arrivait de se cacher sous un bureau. D'une grande fragilité, peu de mots pour s'exprimer et de grandes difficultés à s'intégrer socialement. Dans une classe régulière, elle devait apprendre à faire face à tout ce beau monde, s'avancer académiquement et apprendre à vivre en société.

Guillaume, 5 ans, avait la paralysie cérébrale. Il communiquait à l'aide d'un ordinateur, avait besoin d'aide pour manger, découper et écrire. Il marchait à l'aide d'une marchette. Déterminé, il avait tout un caractère !  Et c'est ce qui le poussait à aller plus loin. Plusieurs années plus tard, je l'ai croisé alors que je visitais une école secondaire. Ça m'a tellement émue de voir ce beau jeune homme, sans marchette, arborant toujours ce même sourire !

En tant qu'éducatrice spécialisée, j'ai été témoin des plus belles victoires, des plus beaux sourires. J'ai vu des larmes de joie et de fierté . On m'a dit les plus beaux compliments, j'ai reçu les plus doux calins. On m'a dit ''je t'aime'', ''merci'', ''je m'excuse'', ''tu es belle''.

J'ai vu aussi les larmes de tristesse, de découragement. On m'a jeté au visage les pires insultes...accompagnées de coups de pieds et de ''je vais te tuer'', ''je t'haïs'', ''je vais te frapper'', ''f...you bitch...''. On m'a menacée de me faire pipi dessus. Je me suis fait mordre, pincée. J'ai arrêté de justesse un coup de poing. Enceinte de 3 mois, au bout d'un corridor sans issue, un élève de 10 ans m'a menacée de me frapper dans le ventre.

Ils ont touché mon coeur, mon âme, ma vie. Malgré ces gestes et ces paroles, je savais qu'au plus profond d'eux-mêmes, ils souffraient.  Je sentais leur besoin d'amour, de compréhension, d'encadrement.  Ces enfants aux supers pouvoirs ont tous une leçon à nous apprendre, jour après jour.  Ils m'ont enseigné les plus belles valeurs, de la résilience à la détermination.  Un tout petit objectif relevé se transformant en grande victoire, ces petits pas ouvrant la voie vers les plus belles destinations... Je suis fière d'avoir fait partie de leur vie.

Et pour ceux que je côtoie encore jour après jour, sachez qu'aussi longtemps que la vie en décidera ainsi, ils auront une place bien spéciale dans mon coeur. Ils mettent certainement ma patience à l'épreuve, mais malgré les journées parfois difficiles, je les aime tellement ! Nous sommes une équipe de feu avec un seul et même objectif: les voir s'épanouir et grandir.

Ils sont tous des super-héros.

                                                                             
Hélène xx